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La fiscalité verte

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Pour une fiscalité écologique incitative et sans incidence négative sur la consommation

La transition écologique et énergétique devrait s’accompagner d’une réelle transition fiscale. Cette transition fiscale consisterait à faire émerger une fiscalité incitative qui récompenserait les bons comportements atténuants l’impact des activités humaines sur l’environnement et le climat, une fiscalité transparente sans incidence négative sur la consommation et l’activité donc sans impact financier.

Pourquoi plaider pour une fiscalité écologique incitative et transparente (sans impact financier) ? La première raison tient à ce qu’il apparait aujourd’hui que la préoccupation du gouvernement et des rédacteurs de la loi sur la TE est au maintien de la consommation et de l’activité face à une fiscalité française aujourd’hui largement pointée du doigt comme n’étant plus guère favorable au développement du pouvoir d’achat et à la gratification de l’entreprenariat.
La seconde, concerne la limite de la fiscalité environnementale qui s’attachera à réduire son assiette, puisque l’assiette représente les dommages environnementaux, ce qui est contraire à une logique de financement. De manière caricaturale, on peut dire que si une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), comme d’ailleurs une taxe sur le tabac ou l’alcool devient une source importante de revenus pour l’État et divers acteurs, ces derniers peuvent être tentés de ne pas chercher à réduire la pollution, le tabagisme ou l’alcoolisme qui sont devenus source d’une manne financière.
Dans le domaine fiscal, c’est un changement de paradigme qui va dans le sens de la sobriété, l’état perçoit moins et dépense moins grâce aux incitations au comportement vertueux de ses administrés.
Mais les adversaires à toute réforme fiscale écologique sont nombreux. Le 5 juin dernier, la séance plénière du Comité pérenne pour la fiscalité écologique a été annulée et ses travaux suspendus. De quoi inquiéter sur la volonté et la capacité de l’Etat à innover et à être moins dépensier.

Quelques rappels sur la fiscalité.

L’imposition est le fait que les administrations publiques soumettent une personne morale ou physique à un impôt, une taxe, une contribution, une redevance ou encore une cotisation sociale. Elle relève du parlement et l’usage qui en est fait est à la discrétion du pouvoir politique, avec un impact sur le consentement à l’impôt. Les impôts servent à faire face aux dépenses publiques et constituent majoritairement le budget de l’Etat.

L’impôt par son assiette (revenu, patrimoine, chiffre d’affaires), est payé à l’occasion d’une opération par son redevable, l’usager, sans aucune contrepartie.
L’impôt est soumis, en France, à la règle de non affectation, contrairement aux recettes issues d’une taxe qui peuvent être affectées à une dépense précise.
Ainsi une taxe est théoriquement « la contrepartie monétaire d’un service rendu par une personne publique ». Mais en France, La taxe est un prélèvement obligatoire perçu d’autorité, à l’occasion d’une opération, mais qui ne constitue pas la contrepartie monétaire de ce service.
Elle diffère ainsi de la redevance, celle-ci étant la contrepartie monétaire d’un service rendu (redevance audiovisuelle, frais universitaires,…). En fait, dès lors que le prélèvement est inférieur à la moitié du coût du service, on parle de taxe et s’il est supérieur, on parle de redevance. La taxe d’habitation ou la taxe sur la valeur ajoutée sont en réalité des impôts car ils ne donnent lieu à aucune contrepartie.

De la fiscalité écologique actuelle, trop peu développée

Par rapport à l’Europe du Nord et à d’autres pays industrialisés, hormis dans le domaine de l’eau où elle a été précurseur avec les agences de l’eau, la France a pris du retard dans la fiscalité écologique (aussi appelée fiscalité environnementale, écofiscalité), notamment avec l’échec de la taxe carbone et sa censure par le Conseil constitutionnel. En 2013, en termes de taxes environnementales, Eurostat classait la France à la 21e place en termes de poids de la fiscalité écologique dans le PIB, et à la 26e place pour la part dans le total des recettes fiscales pour l’année 2011.
Les principales composantes de la fiscalité écologique française :

  • - En vertu du principe de responsabilité élargie du producteur, les fabricants, importateurs ou distributeurs de certains produits (emballages ménagers, équipements électriques, piles, etc.) s’acquittent d’une faible contribution destinée à financer la collecte sélective, le recyclage ou le traitement des déchets de fin de vie.
  • - Le système de « bonus-malus écologique » appliqué aux véhicules plus ou moins émetteurs de CO2 s’apparente à une fiscalité écologique.
  • - Le système de marché du carbone en est plus éloigné (ventes/échanges de quotas de CO2) avec des résultats discutés.
  • - Dans le domaine du dérèglement climatique, la fiscalité française s’est en outre centrée sur le CO2 mais en épargnant d’autres gaz à effet de serre tel le protoxyde d’azote, le méthane ou les gaz fluorés.
  • - Les taxes environnementales (au sens retenu par Eurostat) comme les taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui concernent la consommation de carburants, de gaz, de fioul et de charbon.
  • - La taxe sur la consommation électrique, via surtout la contribution au service public de l’électricité (CSPE) permet de « financer les coûts des politiques de soutien à la cogénération et aux énergies renouvelables, les surcoûts de production dans les zones non interconnectées au réseau électrique métropolitain continental, et la mise en œuvre des tarifs sociaux.
  • - Le principe pollueur-payeur admis en France, impute des taxes sur les pollutions émises. Mais elles sont encore de peu d’importance.
  • - Des déductions fiscales sont accordées pour l’isolation des logements et le recours aux énergies renouvelables, pour soutenir l’agriculture biologique.
  • - Des dispositifs fiscaux favorisent l’épargne « verte ».
  • - Il existe aussi une exonération de taxe foncière en zone Natura 2000 en échange de bonnes pratiques de gestion.
  • - Enfin l’écotaxe, toujours en discussion, officiellement « taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandise », est la version française de la redevance poids lourds liée aux prestations applicable en France, dont l’objectif est de diminuer les transports routiers jugés polluants et énergivores afin de favoriser les transports fluviaux ou ferroviaires.

En septembre 2012, le président de la République s’est engagé à « changer des modes de prélèvement pour peser sur les choix, taxer moins le travail, plus les pollutions ou les atteintes à la nature ; dissuader les mauvais comportements ; encourager les innovations ; stimuler les recherches ; accélérer les mutations ». Pour cela, dans le cadre de la Conférence environnementale, un comité permanent sur la fiscalité écologique a été installé le 18 décembre 2012 avec l’objectif de faire des propositions pouvant s’inscrire dans la loi de finances 2014 afin notamment de financer la transition énergétique et encourager une moindre dépendance aux combustibles fossiles et fissiles au profit des économies d’énergie et des énergies douces, propres et renouvelables.
La fiscalité écologique française actuelle inclut donc des crédits d’impôt, des réductions de taxe, des bonus, etc. visant à inciter les comportements favorables à l’environnement. Elle reste en France insuffisamment développée selon un diagnostic largement établi et consensuel. Avec près de 36 milliards €, elle représentait en 2010 1,8% du PIB et 4,1% de l’ensemble des prélèvements obligatoires, contre respectivement 2,4% et 6,2% en moyenne dans l’Union européenne à 27. Les taxes instituées pour la préservation des ressources naturelles et/ou la réduction des pollutions et des nuisances (ex. TGAP : Taxe Générale sur les Activités Polluante), restent minoritaires (6% de l’ensemble de la fiscalité écologique en France) et leurs taux se situent encore, malgré des efforts récents de rééquilibrage, le plus souvent en-deçà de la valeur monétaire des externalités négatives qu’elles sont censées « internaliser » (ex. TGAP Air, TGAP sur l’incinération des déchets ménagers…).
Cette situation constitue à la fois une défaillance de mise en oeuvre du principe pollueur-payeur et un obstacle au développement des produits et comportements efficaces du point de vue de l’environnement.

D’une transition fiscale envisagée dans le livre blanc « Financement transition écologique »

1) Renforcer la fiscalité écologique et rendre plus efficaces les subventions écologiques : L’objectif est que l’évolution des comportements induite par les signaux fiscaux et règlementaires économise des ressources et réduise les polluants et les déchets, parfois par leur réutilisation (économie circulaire). La fiscalité écologique et les permis d’émission négociables permettent, s’ils sont accompagnés d’un cadre assurant l’équité entre les acteurs, de transmettre des incitations plus correctes aux agents économiques, de réduire le coût global supporté par la collectivité pour atteindre un objectif écologique donné et d’encourager de manière continue l’innovation dans les produits, services et technologies « propres ».
Plus largement, l’évolution de la fiscalité permettrait de mieux refléter les dommages environnementaux, soit par un élargissement ou une modification de l’assiette (TEOM, TGAP sur les matériaux d’extraction…), soit par un relèvement du taux (fiscalité des carburants, TGAP Air, redevance pour pollutions diffuses…). Les coûts collectifs pourraient aussi être mieux intégrés par la fiscalité pour les pollutions liées à l’azote agricole, au méthane, au N2O (protoxyde d’azote) et aux gaz fluorés, et de façon plus exploratoire en raison des difficultés actuelles à évaluer les aménités, à la préservation des services écosystémiques.

2) Réétudier le marché des permis du carbone pour lui donner un rôle de développement de politiques climatiques ambitieuses : Le volet climatique de la politique de transition écologique doit non seulement s’appuyer sur une véritable fiscalité carbone, mais aussi, de façon complémentaire, sur le renforcement du marché européen de quotas d’émission de gaz à effet de serre, qui couvre en France un quart des émissions totales de gaz à effet de serre. Le prix actuel du carbone (autour de 5 €/t mi-novembre 2013) ne permet pas au système de remplir son rôle d’aiguillon pour les investissements bas carbone, notamment dans la production d’énergie. Le marché doit être placé sous contrôle de l’Etat.

3) Supprimer les mesures fiscales et les subventions dommageables à l’environnement pour mettre en cohérence les signaux transmis par la puissance publique via la fiscalité : Les subventions aux énergies fossiles étant au plan mondial, selon l’OCDE, 4 fois plus élevées que les soutiens aux énergies alternatives (nucléaire, renouvelables, biocarburants), les principaux avantages fiscaux recensés sur les énergies fossiles (en réalité principalement sur les carburants) devraient, sauf exceptions justifiées par l’application d’autres instruments, être mis en extinction graduelle.

4) Moduler la fiscalité ou la réglementation des produits d’épargne dans un sens plus favorable aux investissements de long terme et plus cohérent par rapport aux objectifs de la transition écologique : En contribuant à modifier les rendements nets des différents placements, la fiscalité de l’épargne joue un rôle dans l’allocation de l’épargne des ménages. Dans ce contexte, les incitations fiscales doivent favoriser la constitution d’une épargne gérée dans une perspective de moyen/long terme et le risque afférent doit être pris en compte de manière adéquate. Parallèlement, il est essentiel de renforcer la cohérence entre ces incitations fiscales et les modalités de gestion des supports d’épargne correspondants pour permettre une allocation et une gestion de ces encours en ligne avec l’horizon de moyen-terme caractérisant le comportement patrimonial des ménages. Ces principes généraux revêtent une importance particulière pour le financement de la transition écologique qui, au-delà des signaux apportés par ailleurs, requiert que la perspective de moyen long terme et la prise de risque soient effectivement traitées.

5) Une fiscalité plus ciblée : pour décourager l’étalement urbain, l’artificialisation des sols et les atteintes aux services écosystémiques, ainsi que l’examen des redevances pour usage de domaines et ressources publics, notamment en mer. Envisager une fiscalité spécifique sur les gaz à vie courte comme le méthane et le protoxyde d’azote.

6) Accompagner la recomposition fiscale orientée vers l’économie de ressources et le maintien des services naturels : prendre des mesures en faveur des ménages les plus fragiles et des entreprises les plus exposées à la concurrence internationale, sans accroître la complexité fiscale et administrative.

D’une transition fiscale enrichie de valeurs

La transition écologique demande d’investir une part des capitaux des entreprises et de l’épargne des ménages, qui ne sera donc pas consacrée à la consommation.
Les investissements de renouvellement et de création d’équipements en cohérence avec la transition écologique devront être financés en se substituant à d’autres investissements ou en mobilisant davantage l’épargne des ménages. Si ces investissements se financent par l’épargne des ménages, accroissant le volume total d’investissements dans l’économie, le taux d’intérêt qui est le prix de l’épargne devrait augmenter et ralentir l’activité. Si le financement transite par les administrations publiques, en l’absence d’endettement nouveau, celui-ci doit être financé par de la fiscalité qui là encore réduit la consommation et réduit l’activité à court terme. Cette diminution de la croissance entraînerait globalement une réduction du nombre d’emplois, même si cet effet peut être atténué par le développement de certaines filières « vertes ».

La transition fiscale consisterait donc bien à faire émerger, à côté d’une fiscalité écologique, une fiscalité incitative au bon comportement, transparente et sans incidence sur la consommation et l’activité, donc sans impact financier sur le consommateur-acteur. Elle devrait se superposer à la fiscalité classique, en y créant des avoirs (dation de paiement, dégrèvement) pour les bons comportements et en y imputant des créances (amendes) aux mauvais élèves.

Mais de quels comportements parle-t-on ?

Il s’agit de ceux qui permettent à l’Etat de réaliser des économies sur ses obligations à financer des aides et des services ou à réparer des dommages à l’environnement. Ils incluent ceux qui visent la solidarité énergétique (constitutions de fonds en MWh pour la précarité) et environnementale.

Mais de quelles valeurs parle-t-on ?

La progressivité  : La fiscalité écologique devrait être progressive sans compensations sectorielles. Par sa progressivité elle laisse le temps aux acteurs économiques d’innover et d’investir. Un durcissement de la réglementation, s’il est progressif lui aussi, accroîtra l’effet incitatif de la transition fiscale.

La durée  : Il faut garantir la durée et afficher à l’avance les variations à la hausse de la baisse des incitations fiscales ou les effectuer très progressivement pour qu’elles ne ruinent pas les acteurs économiques concernés.

L’égalité : Il faut réfléchir aux formes d’affectation « socialement neutre » (redistribution directe à la population ou baisse des impôts ou d’autres taxes). La redistribution de tout ou partie du produit de la taxe à la population, dans une logique du « juste retour » pourrait être imputé comme un rabais des factures d’énergie ou des primes de mutuelles d’assurance maladie, ou encore de crédit bonifié pour l’efficacité énergétique.

L’équité  : La fiscalité écologique devrait emprunter l’idée controversée de l’impôt sur le revenu pour tous, et devenir une contribution équitable (10 €), volontaire associant et responsabilisant les citoyens aux enjeux de la transition écologique. Cela nécessiterait d’inscrire l’Environnement comme un bien commun et d’organiser une simplification de l’émiettement des taxes et redevances actuellement perçues. Ceci aurait pour conséquence que toutes ces taxes actuellement liées à la production de biens grands consommateurs d’énergie, de matières à recycler ou polluantes, ne soient plus répercutées au seul consommateur qui n’a aucun moyen d’agir sur les matières et les procédés utilisés par les fournisseurs de ces produits. Ces derniers en reversant directement ces taxes à l’Etat devraient en avoir « un juste retour » sous forme d’aides pour modifier leurs process et l’impact sur l’environnement de leur production.

La responsabilité  : Le principe pollueur inscrit dans la charte de l’environnement de 2005 doit être plus largement appliqué et sans faiblesse (élargissement au gaz de vie, taxation du kérosène sur les vols intérieurs,…).

L’éthique  : l’affectation du produit de la fiscalité écologique au budget de l’État, à des comptes spéciaux, à des organismes publics ou privés, etc, doit être claire et l’Etat doit en communiquer le montant et la ventilation. Cela est notamment le cas pour la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) dont l’utilisation est opaque.

La solidarité  : Comme il a existé un bouclier fiscal pour les plus riches, la fiscalité écologique doit instaurer un bouclier énergétique pour les ménages et les citoyens en situation de précarité énergétique. La fiscalité écologique devrait être incitative aux dons, notamment pour les surplus de production d’énergie qui pourraient être reversés sans fiscalisation (ou donner lieu à défiscalisation sur les revenus), à des fonds de solidarité énergétiques en MWh destinés aux personnes en précarité énergétique.

La liberté  : la décentralisation et le pouvoir d’adaptation locale de la fiscalité est nécessaire, là ou d’une région à l’autre, le climat, l’environnement, le peuplement, l’activité économique, les habitudes de vie diffèrent grandement.

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